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Du monde clos à l'univers infini - Alexandre Koyré
Vous vous souvenez peut-être de ma série d'articles de 2013 sur l'"Histoire de la Cosmologie" ? Nous allons les compléter aujourd'hui avec un billet sur le livre du philosophe Alexandre Koyré, ultra-célèbre en cosmologie, intitulé Du monde clos à l'univers infini ! C'est un ouvrage très technique, ultra-pointu et de ce fait assez ardu mais je vais essayer d'en résumer quelques points ici ! Sans prétendre à l’exhaustivité ! Et vous parlerais à nouveau de cosmologie lorsque je reviendrais sur la collection de 70 ouvrages RBA "Voyages dans le Cosmos" !
Selon la conception d'Aristote, le monde est un monde fini ! Les Grecs n'appréhendait pas en effet le concept d'infini qui n'avait pour eux aucun sens. Toujours chez Aristote, il y avait le monde sublunaire soumis au changement, notre sol, et le monde supralunaire, des étoiles fixes, qui demeurait perfection et constance ! L'antiquité, c'est aussi le système géocentrique de Ptolémée !
Nicolas de Cues, le dernier grand philosophe de la fin du Moyen-Âge, rejette la conception médiévale du Cosmos et affirme l'infinité de l'Univers. Il nie la finitude du monde et sa clôture par la sphère céleste et n'est pourtant pas un prédécesseur de Copernic !
Selon les historiens modernes, Marcellus Stellatus Palingenus, écrivain du XVIème siècle, affirme aussi l'infinité de l'Univers. Il est l'auteur d'un curieux poème moralisant très typiquement "Renaissance", plein de pessimisme chrétien, de métaphysique "platonicienne" et de mythologie païenne, le Zodiacus Vitae, publié en 1534 à Venise et vite très populaire ! En réalité, Palingenus est encore un partisan de l'Univers fini et de notre monde matériel enfermé dans, et entouré par, les neuf sphères célestes.
Palingenus et Copernic sont des contemporains. De Revolutionibus orbium coelestium - De la Révolution des orbes célestes est écrit à la même époque que le Zodiacus Vitae. Mais les deux hommes sont très éloignés dans leur vision du monde ! Copernic mobilise des techniques mathématiques établies par Ptolémée et se retourne vers l'âge d'or de Pythagore, Platon, Héraclite et Aristarque de Samos !
La Révolution copernicienne est le moment où le savant arrache la Terre au centre du monde et répands le scepticisme ! On passe à un système héliocentrique ! C'est la Terre et pas les cieux qui se meuvent chez Copernic. Là où Aristote disait : "pas d'espace vide, ni lieu, ni corps en dehors du monde, mais rien !", Copernic ne dit pas que le monde des étoiles fixes est infini mais seulement qu'il est non mesurable (immensum). Le monde de Copernic reste fini.
Pour Aristote, l'infini ne peut se mouvoir (car il occupe tout l'espace) or comme les étoiles bougent alors le monde est fini (on a là une proposition logique avec prémisses et conclusion conformément à l'Organon). Pour Copernic, les étoiles ne tournent pas en rond donc il devrait en déduire que le cosmos est infini mais il ne franchit pas ce pas ! Giordano Bruno, lui, n'hésitera pas à en tirer les conséquences qui s'imposent,en s'inspirant aussi de Lucrèce et de Nicolas de Cues. Sa "pluralité des mondes" lui vaudra de passer sur le bûcher en 1600 !
Thomas Digges est le premier copernicien qui remplace le monde clos de son maître par un monde ouvert.
L'infinité de l’Univers reste une doctrine métaphysique. Kepler va rejeter cette idée de l'infinité des Cieux. L'astronomie va ensuite se développer avec la création de lunettes astronomiques par Galilée qui observe de nouvelles étoiles, les satellites de Jupiter et les cratères sur la lune ! Tout ceci est invisible à l'oeil nu. Le Cosmos est donc plus grand - dans le cas des étoiles ! - et plus complexe qu'on l'avait pensé ! Ces étoiles n'étaient pas visibles mais était-ce parce qu'elles sont plus petites et à la même distance ou de même taille mais plus loin ? L'astronomie devient alors une science empirique et plus seulement spéculations métaphysiques !
Descartes pose la res cogitens, l'âme, et la res extensa - les corps et l'espace qui chez lui sont assimilés ! Chez Descartes, l'espace est géométrisable et assimilable à la matière. Henry More est un des premiers partisans de Descartes en Angleterre mais par la suite, More accusera son maître à penser d'athéisme, accusation très grave à l'époque ! More trouve difficile à comprendre l'opposition radicale établie par Descartes entre le corps et l'âme . Selon le Philosophe du cogito, l'âme - et Dieu - n'auraient aucune extension ! Comment l'âme peut-elle donc agir sur le corps et Dieu sur le monde de la matière, y être présent ?
Pour More, la matière est à la fois l'âme - matière spirituelle - et le corps - matière corporelle. Si avec Descartes, l'extension ne peut être appliqué à l'âme alors elle ne s'applique pas à toute ce que More nomme matière. Toujours selon More, c'est en fait la sensation - et pas l'extension - qui s'applique à toutes les sortes de matière - spirituelle et corporelle !
Descartes répliquera en affirmant que la présence de Dieu dans le monde n'implique pas l'extension de Dieu. De plus, pour le Penseur de la Haye, le monde n'est pas infini.
Je passe sur les pensées de Malebranche, Bentley et arrive à Newton et Berkeley notamment !
Sir Isaac Newton, savant considérable, philosophe, théologien, alchimiste, est celui qui va "découvrir" les Lois de la gravité, mais il ne s'intéresse pas vraiment aux causes, au "pourquoi", seulement au "comment", dira qu'il n'émets pas d'hypothèses ! Pourtant, il mentionne des "forces obscures", qui ne viennent pas de la matière, une sorte de principe divin qui attire les objets les uns vers les autres, proportionnellement à leurs masses et inversement proportionnel au carré de la distance qui les sépare !
On en revient toujours à Dieu ! Selon certains penseurs, Dieu est l'espace - or l'espace à des parties et Dieu n'en a pas ! Donc l'espace ne peut être Dieu et ceux-là sont réfutés ! En fait, l'espace n'a pas de parties car il est indépendant de la matière qui l'occupe ! C'est la matière qui a des parties mais pas l'espace ! On a vu que chez Descartes, espace égal matière !
Newton et Leibniz sont connus pour leurs disputes ! Sur la paternité du calcul infinitésimal mais aussi sur la nature de l'Univers ! Si on considère un Univers parfait dès le début - comme un mécanisme d'horloge alors Dieu doit-il le réajuster au fur-et-à-mesure ?
Pour Newton, comme les forces décroissent, Dieu est obligé d'agir sur son œuvre, de la corriger ! Chez le Britannique, Dieu agit sur le monde mais est pris en défaut car il n'a pas crée un monde parfait dès le départ ! Mais de ce fait, le Créateur est pris en défaut. C'est problématique !
Chez Leibniz, Dieu a crée le "meilleur des mondes possibles", une sorte de monde parfait qui tourne tout seul et n'a donc plus besoin d'intervenir ! Voir la gravité comme une intervention de Dieu est de plus absurde car cela supposait un "miracle permanent" - ce qui est un oxymore ! Pour l'Allemand, il existe le principe de raison suffisante et il y a une certaine nécessite et fatalité !
Pour Newton, enfin, Dieu n'est pas l'espace, idée déjà partagée par Henry More ! A-t'on un Univers fini dans un espace infini ? De quoi est alors composé cet espace infini ? De vide ? D'Ether ? Leibniz posera que l'espace est fonction des corps - pas de corps, pas d'espace ! Il y a aussi, ainsi, un espace "imaginaire" !
On remarquera que dans cet espace, les corps sont impénétrables, alors que les esprits - qui n'ont pas d'étendue N - s’interpénètrent ! Les pensées, les idées mais on retrouve aussi ici des notions liées aux fantômes !
Penser l'espace infini revient à poser des choses éternelles en dehors de Dieu ! Blasphème !
Si Dieu crée l'espace et le temps et est dans l'espace et le temps lui-même alors la nature de Dieu change et il n'est pas éternel mais dépendant des créatures? Dieu serait alors coexistant à l'Univers ou indépendant du temps et de l'espace? Le temps et l'espace sont -ils crées avec l'Univers ?? La Genèse mais pas encore le Big Bang !
Voilà, le livre de Koyré soulève encore bien d'autres points et entre dans le détails mais je vais m'arrêter là car ce billet est déjà bien long ! Mais en vous inquiétez pas, comme je l'ai dit au début, on reparlera de cosmologie ! Ce qui frappe dans l'historique dressé par l'auteur, c'est évidemment le poids du théologique ! On s'en affranchira par la suite, au XXème siècle ? Pas sûr, avec le "Dieu ne joue pas aux dés !" d'Albert Einstein ou le Boson de Higgs, dit la "particule divine" ! Je suis de ceux qui pensent qu'il est possible de concilier Foi et Science (même si je suis agnostique !) !
A bientôt !
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