• Les Penseurs de la Cause Animale

    La façon dont nous traitons les animaux en dit souvent long sur nous, sur notre humanité, notre rapport au monde et aux autres. Que l'on fasse partie des "30 Millions d'amis" ou que l'on exploite sans vergogne les bêtes, nous avons des responsabilités vis-à-vis des animaux. Progressivement, nous prenons conscience que l'animal a une sensibilité et peut souffrir et nous reconsidérons le grand mensonge que nous nous cachons à nous-même, la réalité des abattoirs tandis que le végétarisme et le véganisme trouvent de plus en plus d'échos !

    L'homme a longtemps considéré l'animal comme lui étant inférieur ! Le pli est posé dès les textes du premier Monothéisme. En effet, dans le Judaïsme et les écrits de la Genèse, il est posé que les bêtes sont mises à disposition d'Adam et qu'une fois le Pêché originel introduit, l'homme a le droit de consommer les animaux et de les mettre sous le joug. Fini le temps de l'Harmonie et de la coexistence pacifique !

    Pourtant, par la suite, les penseurs juifs comme Moise Maimonide établiront que "la connaissance de Dieu est préférable aux holocaustes" et on "ne fera point cuire un chevreau dans la lait de sa mère".  On ne sacrifie plus les bêtes sur les autels et on préfère la prière intérieure et le recueillement.

    Découlent aussi de la tradition et du canon, dans le Judaïsme, moins dans le Christianisme mais à nouveau dans l'Islam un certain nombre d'interdits alimentaires : porcs, fruits de mer etc,...

    Chez les Grecs, la problématique de l'animal commence avec Pythagore. Tuer un animal est commettre un crime effroyable car croyant en la réincarnation, les pythagoriciens affirme que tuer une bête est comme tuer un père ! On retrouve pareille pensée dans les religions de l'Orient, comme le Bouddhisme !

    Pour les Stoïciens, l'animal est dépourvu de raison qui est l'apanage de l'Homme. Tout relève d'une harmonie cosmique, œuvre des Dieux et chaque chose est à sa place et à son utilité. L'animal a un rôle à jouer et est un "miroir de la nature". Il est aussi "au service de l'Homme".

    Platon établit que, hormis celles qui sont inertes, chaque chose a une âme, en découle une hiérarchie des âmes. L'âme est vu comme un attelage ailé dans le Phèdre, peut se réincarner en animal suivant sa nature dans le Phédon et a trois parties dans la République.

    Aristote décrit une âme végétative, sensitive et intellectuelle. L'âme est ce qui anime et informe le corps.Aristote a beaucoup écrit sur les animaux notamment une Histoire des animaux et il établit qu'il y a une continuité d'une espèce à l'autre qui passe par d'infimes variation, une "échelle des êtres".

    Théophraste, ami et collaborateur de son mentor Aristote fut véritablement le premier penseur à manifester une amitié réelle envers les animaux avec lesquels les hommes forment une "véritable famille" Nous leur sommes "apparentés" " dans la même maison". Les bêtes sont pour lui aussi animées de sensations et de désirs. Les hommes sont devenus insensibles et s'arrogent le droit de tuer les animaux - cette opinion est aussi partagée par Plutarque. Aux sensations et désirs que posséderaient les bêtes selon Théophraste, Plutarque rajoute les sentiments , l'intelligence - déjà décrites chez eux par Aristote - et enfin l'imagination.

    Pour Porphyre, ce sont de "mauvaises habitudes" qui ont poussé l'Homme à devenir le plus cruel des animaux ! Après Théophraste et Plutarque, Porphyre élargit la gamme de capacités des animaux et comme son maître Plotin pense que le corps - et donc la consommation de viandes - alourdit l'âme de l'Homme !

    Quittons l'Antiquité pour aborder la Renaissance - qui est une redécouverte des textes antiques ! Montaigne le premier fait un éloge des bêtes dans un passage fort célèbre de L'Apologie de Raymond Sebond, où il place les hommes et les animaux sur un pied d'égalité ! Les animaux possèdent des capacités remarquables qui dépassent même dans certains cas les nôtres ! Les bœufs et le chiens sont capables de compter, les fourmis et les abeilles font des sociétés complexes, les éléphants ont de la mémoire, etc,... L'auteur des Essais  multiplie les exemples dans ce texte sur lequel j'ai par ailleurs travaillé durant mes études de Lettres !

    Les choses se compliquent avec Descartes qui marquent un grand retour en arrière ! Le Penseur de la Haye voit le monde selon la dualisme de la chose pensante et de la chose étendue (res cogitens  et res extensa). Le monde n'est alors plus qu'un gigantesque mécanisme d'horloge dans lequel les animaux - qui n'ont pas le langage, ne penseraient pas -  et sont donc des machines. Ils ne sauraient ressentir les choses ! On peut donc frapper son chien comme l'affirmera Malebranche puisqu'il ne ressent pas la souffrance ! Cela nous parait impensable aujourd'hui - et révoltant !

    Les Quakers sont à l'opposé de cette pensée. L'argument de cette secte religieuse dérivée du Protestantisme est théologique. Pour eux, la présence de Dieu se fait ressentir dans tout être vivant et donc on doit le respect à chacun de ces êtres ! Chaque créature désire avoir son droit naturel.

    La Mettrie, athée et libertin du Siècle des Lumières, provoque le scandale avec son ouvrage L'Homme-machine. Il retourne l'argumentaire de Descartes en posant que l'Homme - qui a la pensée - n'est lui aussi qu'un automate perfectionné ! Dès lors pourquoi dénier la pensée aux animaux ? Ceci choquera profondément l’Église pour qui l'Homme tient une place éminente dans la Création.

    Condillac démonte aussi les théories de Descartes sur les animaux-machines. S'appuyant sur Hume, il analyse les différences entre sensation et réflexion et pose que la sensation est l'unique source de la connaissance, en bon empiriste. La différence entre l'Homme et l'animal est que, contrairement à ce qu'on croit, seuls les hommes s'imitent les uns les autres - perfectionnant ainsi leur connaissance, les animaux, eux, ne font que réagir de la même façon dans un nombre de situations limitées !

    Jean-Jacques Rousseau avance quand à lui que l'on a nul besoin de faire souffrir les animaux, la Terre regorgeant d'autres ressources ! Le droit des bêtes à ne pas souffrir ne doit pas reposer sur la présence ou non de telles capacités sensibles ou intellectuels chez elle mais sur le ressort de la pitié ! Si on veut manger un bœuf, il faudrait l'égorger nous-même et ne pas se cacher la réalité et déléguer la sale besogne ! Avec le philosophe suisse, apparaît la critique de l'alimentation carnée dans notre modernité !

    Emmanuel Kant lie lui les obligations que nous avons avec les bêtes dans les obligations que nous avons avec nos semblables. Il faut faire "comme si" les bêtes étaient des personnes humaines. Or pour Kant, l'homme est une fin et non un moyen. qui se comporte mal avec une bête se comportera mal avec un homme !

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    Arthur Schopenhauer - dont on savait l'amour pour son caniche ! -  porte de violentes accusations contre le Judéo-Christianisme qu'il accuse d’avoir rendu les hommes cruels à l’égard des animaux par son anthropocentriste ! L'Homme n'est pas le seigneur de la terre et les bêtes ne sont pas un produit à notre usage !

    Jeremy Bentham introduit l'Utilitarisme dans le débat animal. Selon lui, il faut raisonner de manière pratique en termes de recherches de plaisir et d'évitement de désagréments et de souffrances ! Il ne s'agit alors pas tant de renoncer à ou d’interdire l'alimentation carnée mais d'éviter le maximum de souffrance à l'animal en lui infligeant une mort rapide et indolore.

    Charles Darwin va secouer encore plus fort les institutions religieuses en abolissant la frontière entre l'Homme et l'animal. En effet, si l'Homme descend du singe, il est lui-même un "Homme-animal" ! Scandale ! Et cela oblige à reconsidérer les capacités et les droits des uns et des autres !

    Passons pleinement dans la Modernité dans un troisième temps ! L'idée du végétarisme va peu à peu émerger dans nos société ! Ainsi le Russe Léon Tolstoï prône celui-ci afin pour l’Homme de trouver sa voie morale. On en doit pas tuer les bêtes ! il faut savoir d(où vient le poulet qu'on a dans notre assiette, la souffrance qu'il enduré ! En finir avec l'hypocrisie institutionnalisée ! Pour un végétarisme éthique ! Henry Stephens Salt prends acte de l'émergence de ces nouvelles pratiques alimentaires et montre pour appuyer le mouvement que la consommation de viande n'est pas un impératif biologique ! Le mouvement pour aller "de la Barbarie à l'Humanité" est en marche !

    On commence à considérer véritablement le point de vue de l'animal, notamment avec Jacob von Uexkull qui analyse que chaque bête à son expérience du monde propre et singulière. Heidegger et Deleuze s'en souviendront ! On en peut donc définitivement pas comparer l'animal à une machine ! Enterré Descartes !

    Les notions opposées de "spécisme" et anti-spécisme" sont introduites par Peter Singer et son ouvrage de référence La Libération animale. Comme il y a un racisme, il y a un spécisme, a tendance à classer le monde vivant en espèce et à établir une hiérarchie ! Pour singer, l'élément qui confère des droits aux animaux n'est pas la capacité à raisonner ni la même la force physique mais la capacité à ressentir, l'aptitude à la souffrance qui est commune à tous. Un principe d’égalité !

    Carol J. Adams établit, elle, un parallèle intéressant et pertinent entre les luttes du féminisme et du végétarisme, ayant constaté dans les années 1970 que nombre de féministes étaient également végétariennes ! Le dénominateur commun est que dans les deux cas, on a une opposition à une tentative de domination masculine. Que l'on pense aux publicités pour les hamburgers qui utilisent l’imagerie "Pornochic" !

    Tom Regan mélange les approches de Kant - l'animal n'est plus un simple moyen ! - et utilitariste de Bentham ! Les animaux voient là encore leur sensibilité réaffirmée et ils faut éviter de les faire souffrir.

    On entre alors dans un processus de codification et de légifération du Droit animal, notamment avec Martha Nussbaum qui pose "dix règles pour le bien-être animal" parmi lesquelles la santé physique, le sens, l’imagination et la pensée, les sentiments, la raison pratique ou encore l'affiliation.

    Jacques Derrida dans un texte publié après 2004 - donc de manière posthume -, attaque violemment notre attitude vis-à-vis des bêtes ! Le philosophe qui se sentait gêné nu devant son chat dénonce l'"exploitation d'une survie artificielle à des fins d'exploitation interminable"  - en clair engraisser les vaches, les porcs, les poulets indéfiniment dans des élevages afin de les abattre - souvent non sans une forme de cruauté ! Derrida fait même un parallèle choquant avec la Shoah pour mieux marquer les esprits !

    Les Penseurs de la Cause Animale

    On doit donc, et c'est le cas avec Sue Donaldson et Will Kymlicka, reconsidérer les Droits des animaux et leur donner de nouveaux statuts ! Ces deux derniers auteurs que nous aborderons proposent une classification entre animaux domestiques et animaux sauvages - auxquels ils ajoutent les animaux liminaires - entre deux ! - tels les rats, les souris, les pigeons,etc,...

    Récemment, des groupes d'activistes telle l'organisation L214 - qui filme clandestinement dans les abattoirs afin de dénoncer les conditions de mises à mort - sensibilisent de plus en plus à la cause animale. A priori, je ne suis pas prêt à renoncer aux steaks au poivre que me prépare mon paternel les samedis midis mais je dois avouer que de telles démonstrations de cruauté envers les bêtes d'élevages font réfléchir ! Il n'est pas inenvisageable que je réduise ma consommation de viandes dans un premier temps !

    Le discours végan - qui banni toute exploitation de l'animal - y compris la fourrure, la laine, la chasse, la corrida, les produits pharmaceutiques testés sur l'animal et l'expérimentation animale - semble plus cohérent que le végétarisme ! Mais est-ce tenable dans nos sociétés de carnivores/omnivores !? Enfin cohérene dans une certaine mesure et limite ! En effet, la science découvrant que les plantes ont aussi une sensibilité et des intérêts, cela a l'air d'une blague mais que faire du "cri de la carotte" ? Et les robots ? N'exploitons-nous pas avec l'intelligence artificielle - à l'aube du transhumanisme - une autre forme d'êtres vivants ?

    C'est un vaste débat philosophique et de société qui est loin d'être clôt !

    A bientôt !

    PS : Ce billet a été réalisé avec l'aide précieuse du Hors-série Le Point Références N°69 de juin-juillet 2017 - "L'Homme et l'Animal - Les textes fondamentaux" dont il constitue un compte-rendu !

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  • Commentaires

    1
    Samedi 13 Janvier 2018 à 17:45

    beau billet !sur la façon de traiter le monde ANIMAL / 

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