• La Graine et le Mulet - Abdellatif Kechiche

    Commençons pour être original par décortiquer le titre du film franco-tunisien d'Abdellatif Kechiche de 2007, ce titre est La Graine et le La Graine et le Mulet  - Abdellatif KechicheMulet. C'est très simple en réalité ! La "Graine", c'est la graine de couscous, ce qui n'étonnera pas dans un long-métrage d'un réalisateur issu du Maghreb et le "Mulet", non, perdu !, ce n'est pas le croisement de l'âne et de la jument mais c'est un poisson ! Il va donc s'agir de cuisine traditionnelle typique et pour votre information, le film est aussi appelé dans certains pays, Couscous mit Fish.

    Il y a eu à l'époque un vrai plébiscite autour de ce film, excellente surprise qui a raflé plein de récompenses (j'y reviendrai) et qui mets en scène des acteurs non-professionnels mais "pas pour autant dénoués de sérieux et de talent" dixit le réalisateur enthousiaste à propos de son casting et La Graine et le Mulet  a aussi permis de révéler la jeune actrice Hafsia Herzi, née en 1987 - et donc alors âgée de 20 ans. Avec une bonne direction d'acteurs on peut faire des miracles et ma collègue de travail Brigitte C. qui joue aussi dans des films d'auteurs ne me démentira pas (j'en parlerai aussi un jour prochain), mon autre collègue et voisin, Didier A. qui veut toujours réaliser des films amateurs devrait en prendre de la graine (et du mulet ?).

    Le récit se déroule à Sète où monsieur Beiji, 61 ans, Slimane de son prénom, père de famille divorcée - joué par Habib Boufares, qui travaille sur un chantier naval, est mis à la porte. Avec ses maigres indemnités de licenciement et espérant obtenir un prêt de la banque, il va vouloir réaliser un vieux rêve : ouvrir un restaurant installé sur un bateau racheté aux clous ! Il est surtout soutenu par sa famille et ses amis et pas tant par les décisionnaires locaux, opportunistes et pour certains racistes ! Au premier chef, il est porté et soutenu par sa belle-fille, Rym, - jouée par Hafsia Herzi donc  - qui est un personnage dans le film très énergique, volontaire et qui n'a pas froid aux yeux, ni peur de donner de sa personne (comme en atteste surtout la fin du film !). Dans le récit, la jeune femme de 20 Printemps tient un hôtel avec sa mère, la maitresse du "héros". Rym a trouvé une figure paternelle de substitution.

    La spécialité du restaurant de monsieur Beiji sera donc le "couscous au poisson" dont l'ex-femme de Slimane, Souad - jouée par Bouraouia Marzouk (qui a aussi une belle carrière depuis) - est la grande spécialiste. Ce rôle que reprend Souad dans la vie devenu triste de Slimane, va contrarier et rendre jalouse Latifa - jouée par Haitka Karaoui, la mère de Rym.

    Le film parle aussi avant tout de transmission, de l'héritage qu'on veut laisser à ses enfants. Slimane ne fait pas de différence entre sa famille et sa belle-famille même si certains ne sont pas irréprochables, comme son fils ainé, Majid - joué par Sami Zitouni -  qui "fait le con" en trompant sa jeune compagne en allant voir des prostituées (j'en connais d'autres !) et des maitresses ! "On ne juge pas ses enfants" (et réciproquement ses parents qui font de leur mieux) est une des leçons du film.

    Un film très réaliste, presque un documentaire, tournée au plus proche des "vraies gens", pas ces familles idéalisées à 6000 euros de revenus mensuels qu'on nous montre à longueur de journée à la télévision dans les fictions ! Réaliste car pas idéalisé, loin de là, bien au contraire ! J'ai beaucoup aimé ce film pour tout vous dire car il est très "rafraichissant" ! C'est du cinéma "honnête" dans son propos et ça fait du bien.

    Il est bien évidemment question de la communauté des expatriés du Maghreb, à une période où on dénonce les communautarismes et où on n'en montre que les mauvais côtés ! Un film avec des vraies gens donc, des musulmans et sans l'ombre d'un terroriste, d'un intégriste et même pas une "racaille" (à peine trois gamins farceurs qui chipent une mobylette à la fin). BFMerde nous aurait donc menti sur cette communauté ? La communauté, avec ses solidarités, comme l'a montré le sociologue Georg Simmel, au passage entre les XIXème et XXème siècles, est toujours préférable à la société de contractants rongés par l'individualiste (quand la Sociologique se veut normative ?). Le présent film illustre parfaitement cette thèse ! Là où la banque refuse le prêt et la mairie le permis d'accoster, la famille et les amis viennent à la rescousse !

    Revenons sur les acteurs ! Tous très bon ! J'ai particulièrement été marqué par la sobriété et la justesse de leur jeux, des acteurs et actrices mentionné(e)s plus haut mais mention spéciale à l'actrice "non-professionnelle" (?) qui joue la compagne bafouée de Majid qui est bouleversante de vérité - mais dont malheureusement je n'ai pas noté le nom ni celui de son personnage (il y a beaucoup de personnages, joués tous par des inconnu(e)s et n'ai pas été assez attentif à mon unique visionnage ! Et Wikipédia et Allociné ne sont pas clairs sur cette information). Ah si, recherches et rectifications faites pendant la rédaction de cet article, c'est la talentueuse Alice Houri et elle joue "Julia, la femme de Majid". Le critique Cédric Mal vante dans un livre la "conviction" et la "subtilité" de son jeu ainsi que sa délicatesse ! Elle, à contrario, est bien une actrice professionnelle !

    Un film sur la "solidarité familiale"  et donc aussi un film humaniste et humain. Rien n'est surjoué ! Kechiche filme la joie, la peine, l'entraide mais aussi l'hypocrisie...

    Je ne vais pas m'étaler sur les récompenses innombrables que le film a raflées : Grand Prix du Jury de la Mostra de Venise 2007, Prix Louis-Delluc 2007, Prix Méliès 2007, Prix Lumières 2008, classé 6ème parmi les meilleurs films des années 2000 et meilleur film français de la décennie par les "Cahiers du Cinéma" qui l'ont littéralement encensé (on peut penser à juste titre qu'il s'agit là d'une "revue de snobinards" mais pour une fois ils ont vu juste et il y a consensus). Le long-métrage ("long" car presque 2 heures et demie qu'on ne voit pas passer - ce qui tient du "miracle" et est généralement bon signe !) a été financé par Claude Berri et comparé au cinéma de Maurice Pialat, de Claude Sautet, de Jean Renoir, des néo-réalistes italiens, de John Cassavetes et de Ken Loach.

    Pour parler des Césars 2008, le film a décroché ceux de "Meilleur film", "Meilleur réalisateur", "Meilleure révélation féminine" (pour Hafsia Herzi donc, passé en 2019 à la réalisation avec Tu mérites un amour) et "Meilleur scénario" (il a aussi été écrit par Kechiche qui s'est inspiré de son propre père pour le personnage principal). Une razzia donc !

    Un film qui commence à la façon d'une comédie douce-amère et qui finit en tragédie grecque ! Alors que Slimane est sur le point de concrétiser son rêve, il est en quelque sorte trahi par un des siens qui fait défaut ! Je vous laisse deviner qui ? Rym donne alors de sa personne et exécute une danse orientale, une "danse du ventre" quoi, pour faire patienter des convives fascinés par la jeune femme dans un moment de grande "tension érotique" ! La séquence a demandé un entrainement physique de folie, intense quoi !, à Hafsia Herzi, ici fascinante et dont la plastique pas tout à fait parfaite (un petit bidon !) la rend d'autant plus humaine et réelle quoi qu'inaccessible !

    Ironiquement, seul le SDF du quartier aura son couscous et on peut donc dire que si  monsieur Beiji et sa famille risquent d'échouer sur le plan social,  par leurs actes de charité, ils trouveront  sans doute le salut devant l'Eternel et on sait que le religieux compte beaucoup pour ces gens-là !

    je recommande vivement ! Vous devriez passer un bon moment ! C'est visible notamment sur Disney + qui après The Artist semble collectionner les films français primés !?

    A bientôt !

    « Luca - PixarRagnarök -Saison 2 »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :