• L'individu qui vient... après le libéralisme - Dany-Robert Dufour

    On ne cesse de répéter que le monde court à sa perte, de tirer des sonnettes d'alarme sur les impasse du néo-libéralisme qui voit certains accumuler les richesses tandis que la grande majorité de la planète vit dans la pauvreté voire la misère. L'ouvrage de Dany-Robert Dufour, philosophe de son état, apporte sa pierre à la critique de notre société, en dénonce les travers ! Ce livre, c'est L'individu qui vient - sous-titré ... après le libéralisme.
     
    L'auteur se positionne dès le début de l'essai. Un nouveau récit est né avec la Modernité, celui qui fait du Divin Marché la nouvelle religion, et qui évince les anciens récits, celui des monothéismes et celui du Logos grec ! Il s'agit pour Dufour d'adopter une position qui n'est ni celle des néo-libéraux, ni celle des réactionnaires, la posture de résistant !
     
    On accuse notre époque d'être celle de l'individualisme ! En réalité, notre philosophe montre ici qu'elle est plus celle de l'égoïsme où c'est l'amour-propre qui l'emporte sur l'altruisme. Un individualisme humaniste ne serait pas à critiquer, bien au contraire.
     
    Le point d'inflexion, le moment où le libéralisme l'emporte sur le christianisme se situe à l'époque des Lumières mais chemine déjà depuis la Renaissance, Francis Bacon et son Novum organum et René Descartes qui veut faire de nous les "maîtres et possesseurs de la Nature". Ce basculement se produit lorsque les Lumières anglaises l'emportent sur les Lumières allemandes ! Kant considéraient l'homme comme une fin et non comme un moyen ! Les Anglais vont développer l'utilitarisme et le pragmatisme : on peut instrumentaliser l'individu car c'est le résultat qui compte !
     
    Adam Smith et Mandeville contribuent à l'avènement du capitalisme et les vices - jusque là prohibés par la religion - deviennent des vertus - comme le pose le second avec sa Fable des Abeilles. L'heure est au plaisir et à la jouissance - "philosophie" qui trouve son apogée chez un auteur comme Sade !
     
    Le Logos grec cède aussi du terrain ! Terminé avec la prohibition de l'hubris - la démesure ! La pléonexie était mal vue chez les contemporains de Socrate - l'art d'accumuler les richesses matérielles pour soi ! - désormais elle est mise en avant et devient la règle !
     
    Les anciens récits avait donc des interdits que le libéralisme a fait sauter ! Faut-il le regretter ? Ce n'est pas si simple car au-delà de ces interdits (sur l'amour-propre et sur la pléonexie), il y avait aussi des répression secondaires ! Un onzième commandement divin caché poserait ainsi la femme asservie à l'homme suivant le modèle du Patriarcat et les Grecs avaient des esclaves qu'on retrouve dans la figure du prolétaire aliéné !
     
    La Modernité place les hommes en situation de "minorité" (la femme, le colon, l'homosexuel,...) là où Kant, dans Qu'est-ce que les Lumières ?, militait pour amener l'Humanité en position de "majorité" - l'âge adulte autoconscient ! Le libéralisme brouille aussi la distinction des sexes en confondant sexe (qui procède de la Nature) et genre (qui procède de la Culture) avec les gender-studies. L'auteur affirme qu'on ne peut contourner le sexe biologique, changer notre être ! On ne change que le paraître et au moyen du discours et de symboles qui ne modifient pas la configuration du réel et ne sont, par définition, que performatif ! La Modernité, semble-t'il dire, veut accorder une trop grande place à la culture par rapport à la nature en usant d'une rhétorique mensongère ! Car c'est aussi cela la Modernité, un usage décomplexé de la sophistique comme si le dialogue philosophique avait repris là où Platon avait vaincu les sophistes !
     
    Autre discours ayant trait à l'individu postmoderne, on a le récit de l'antipsychiatrie, mis notamment en avant par Deleuze et Guattari dans leur Anti-Œdipe. Ce n'est plus le fou qui est malade mais la famille, l'entourage et la société ! Je reviendrais sur ce point une prochaine fois !
     
    Dernier domaine de ce retournement sophistique, on le trouve chez les tenants de l'anti-spécisme, qui au contraire de ceux qui dans les études de genres privilégient la culture sur la nature, placent eux la nature en position dominante par rapport à la culture et pose l'homme comme "un animal comme un autre". Or il y a une exception humaine que l'auteur situe dans le langage ! En effet, le langage animal reste collé au réel, alors que comme on l'a vu le langage humain est symbolique, use de détours poétiques et métalinguistiques, permets le fantasme et le mensonge !
     
    Le néolibéralisme a permit l'assouvissement des pulsions liées à "l'âme d'en bas" sans passer par la médiation de "l'âme d'en haut". C'est une prolétarisation non seulement au stade de la production mais aussi par la consommation - via les techniques de marketing ! C'est l'ère du leurre - pour "appâter le client" - et de l'addiction !
     
    Pour terminer cette partie de la réflexion, l'auteur de l'essai présente la situation des grands pléonexes qui accaparent la richesse - comme Bill Gates, qui se veut philanthrope ! - ces "libertariens" qui veulent la fin de l'État et de la modeste redistribution qu'il permets mais vont pleurer dans ses jupes après la Crise de 2008 pour qu'il les renfloue ! Devant tant d'injustices et d'inégalités, que convient-il de faire ? C'est la dernière partie du livre ! Après le constat et l'observation après la réflexion, le temps de l'action et des mesures !...
     
    L'ultralibéralisme est donc néfaste car d'une part, il nie la nature humaine et d'autre part, en recherchant une croissance illimitée - et illusoire ! - il mets l'écosystème, avec des ressources elles limitées - en péril ! C'est une fuite en avant en réalité !
     
    L'essayiste propose donc plusieurs pistes de solutions ! D'abord créer des conservatoires - afin de préserver ce qui risque de disparaître, pour échapper à la logique marchande et du profit à tout crin ! Puis, repenser l'école où la figure du maître, taxé d'autoritaire par le discours de la Modernité, a été dévalorisé ! Créer une école où apprendre ne se réduise par au jeu ou à la formation de bons prolétaires et de bons consommateurs mais conduisent les jeunes à maîtriser leurs pulsions !
     
    Ensuite, il s'agira de passer de l'individualisme égocentré à un individualisme "sympathique" et de tirer les leçons des expériences malheureuses du XXème siècle : fascisme, communisme "vulgaire"  et capitalisme ! Trois impasses historiques en un siècle !
     
    On découvrira bientôt que le seul individualisme qui vaille doit être altruiste ! Je rajoute pour ma part ici que longtemps, un certain darwinisme social a professé que les êtres survivaient mieux en étant égoistes ! Cela semble en fait invalidé par pas mal d'expériences en psychologie sociale comme le "jeu des prisonniers" (base de la théorie des jeux) où deux individus obtiennent de meilleurs résultant en "coopérant" ! Comment s'assurer cette coopération ? En se référant à un tiers, la loi - là encore système symbolique !
     
    Petit apparté : le symbolique peut parfois  transformer le réel ! La "surnature" de Dieu - qui existe dans notre esprit (là seulement  ?) se manifeste dans l'édification de synagogues, d'églises et de mosquées, bâtiments bien matériels !
     
    Face à une société qui ordonne les hommes en "troupeaux de consommateurs" livrés à leurs pulsions et à leur satisfaction, un monde comme on l'a vu très inégalitaire, il conviendra aussi de rétablir un État fort qui assure une fonction de régulation - ne laissant pas tout à la "main invisible du marché" et qui redistribue les richesses (le cauchemar des libertariens !), qui associe les intérêts privés et collectifs. Bref "moins d'affaires dans les États" ! Je pense que certaines propositions des Gilets Jaunes - contre le règne de l'argent roi qui dirige tout et pour une meilleur représentation de tout un chacun  ! - sont intéressantes ! Mais évidemment, il n'est pas mention des Gilets Jaunes dans ce livre car c'est beaucoup trop récent !
     
    Comme je dis souvent à mon père, la valeur d'un individu ne se mesure pas à son salaire ou à sa fortune ! Dany-Robert Dufour démolit aussi en conclusion cette figure détestable et mensongère du self-made-man ! Pour éviter cette pente néo-darwinienne, nous avons besoin d'un Etat, au sens philosophique ! Je vous renvoie avec l'auteur aux grands textes que sont La République  de Platon, Le Contrat Social  de Rousseau et les Principes de la Philosophie du Droit de Hegel !
     
    En conclusion, l'avenir peut paraître sombre mais le pire n'est jamais sûr ! Il est temps de construire de nouvelles utopies et cette fois de les réaliser ! La tâche est immense mais toutes les bonnes volontés sont les bienvenues !
     
    La période que nous vivons est charnière - un naufrage ou  une nouvelle Renaissance - et très exaltante ! De nombreuses voix s'élèvent pour proposer de nouvelles perspectives !
     
    Comme disait le poète Holderlin : "Là où croit le péril, croît aussi ce qui sauve !".
     
    Un très bon essai que voici !
     
    A bientôt !
     
    PS : je vous souhaite un joyeux Noël 2018 !
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