• Ecrire le monde - Martin Puchner

    Écrire le monde est un ouvrage érudit mais très accessible de Martin Puchner que le quatrième de couverture nous vend comme l'un des plus grands spécialistes mondiaux de la littérature ! Comme vous ne le savez peut-être pas, j'ai obtenu en 2020 mon deuxième Master, après mon Master de Lettres, un Master Métiers du Livre filière Bibliothèques et la littérature est un domaine que je commence à connaître assez bien et le livre de ce spécialiste fait écho à des choses que j'ai apprises ou avec des articles que j'ai déjà écrit sur ce blog (sur L'Iliade, sur L’Épopée de Gilgamesh,  sur l'invention de l'imprimerie par exemple) et je vous y renvois même si je ferais quelques redites ici pour bien fixer les choses !

    Le livre de Puchner est sous-titré "La formidable épopée des livres qui ont fait l"histoire". C'est raconté de manière vivante et très plaisante !

    L'auteur commence son récit avec deux textes fondateurs et très anciens, donc L'Iliade d'Homère et avant elle encore L’Épopée de Gilgamesh qui lui remonte presque au début de l'invention de l'écriture. Sur le récit d'Homère, il illustre l'importante de celui-ci, outre le fait bien connu qu'il faisait partie de l'éducation de tous les jeunes Grecs, par l'autre fait qu'Alexandre le Grand en emporta avec lui dans sa conquête du monde une version annoté par Aristote, son précepteur. Ce récit devait servir d'inspiration à ce conquérant qui se voyait comme un nouvel Achille ! En un sens ce texte a fait l'Histoire, guidant les actions du Macédonien, dont Martin Puchner nous rappelle le périple et le destin précocement funeste!

    Ces anciens récits ont donc à voir avec les Rois, tout comme L'Epopée de Gilgamesh qui a partie liée avec la Bibliothèque du roi Babyloniens Assurbanipal qui désirait s'informer sur l'Histoire. Ceci permets à notre spécialiste de littérature de revenir sur ce qu'était l'écriture cunéiforme, une de premières formes d'écriture et sur son support les tablettes d'argiles !

    Les premiers textes fameux de l'Histoire concernent aussi plus généralement les peuples et il est temps de parler de la Bible hébraïque compilée par le scribe Erza, lors du retour des juifs en terre de Palestine au Vème siècle avant J.-C. La nouveauté fut qu'à côté du Temple où reposaient les Tables de la Loi, on avait désormais l'autorité du Livre !

    Une rupture est instaurée dans les derniers siècles avant J.-C, avec quatre maîtres à penser sans équivalents dans l'Histoire qui paradoxalement, pour aucun d'entre eux ne fixèrent leurs textes par écrit que ce soit sur papyrus ou parchemins - ce furent leurs disciples qui le furent ! Vous aurez bien sûr compris que je parle de ces quatre maîtres de sagesse, à l'origine de religions et de la philosophie : Bouddha, Confucius, Socrate et Jésus.

    Direction ensuite le Japon avec celle que l'on connaît sous le nom de Murasaki Shikibu ! Aux alentours de l'An 1000, ce fut elle qui fut à l'origine du premier roman de la littérature mondiale  - et non Cervantès pour Don Quichotte, 500 ans plus tard, comme on le croit à tord et qui ne le fut lui que pour les Lettres européennes. Ce premier roman, qui se distingue de la matière antique et qui inclut par ailleurs un grand nombre de petits poèmes, c'est le Dit du Genji qui raconte comment un noble, fils de l'Empereur et d'une courtisane de deuxième rang est devenu un roturier et tombe amoureux d'une jeune dame dont il prends l'éducation en charge dès l'âge de dix ans en lui apprenant la calligraphie, la poésie et les caractères chinois.

    Ce Dit du Genji était composé en calligraphie kana, une écriture simplifiée à destination des femmes qui avaient interdiction d'étaler leur culture ou d'étudier la littérature chinoise qui était le modèle que prenait la littérature japonaise ! Murasaki n'en demeure pas moins une sorte d'"insoumise" (pour reprendre une série récente d'articles que j'ai écrits !) et rédigea aussi sur la fin de sa vie un journal intime !

    L'origine des Contes des Mille et Une Nuits avec Shéhérazade, sa conteuse prolifique, qui est en réalité une grande lectrice, est un mystère ! On doit la traduction en France par Antoine Galland, au tout début du XVIIIème siècle, mais saviez-vous que devant le succès de son entreprise de traduction et la forte demande du public, Galland fit rédiger par un auteur syrien des contes supplémentaires dont les plus célèbres comme Sinbad, Aladin ou Ali Baba ! Une théorie fumeuse attribue la compilation des récits d'origines à Alexandre le Grand qui de par les pays qu'il visita et conquis aurait très bien pu le faire tant ses récits sont de provenances diverses !

    On passe ensuite à l'Imprimerie et l'invention de Gutenberg qui fut en fait une réinvention déjà présente en Extrème-Orient ! La xylographie (sur bois) existait aussi déjà ! L'inventeur originaire de Mayenne produisit une Grammaire de Donat, un pamphlet anti-turc et des indulgences (à la suite de la Chute de Constantinople) puis une fameuse Bible en latin qui remporta un grand succès auprès de l'Eglise !

    Mais une cinquantaine d'années plus tard, Luther utilisa cette invention révolutionnaire pour diffuser ses 95 Thèses contre le pape et l'Eglise Catholique et son "trafic" d'indulgences. Ce fut la première bataille de l'opinion qui allait amener à l'"hérésie protestante". Luther a par la suite traduit la Bible en allemand pour la rendre accessible au plus grand nombre en se passant des prêtres et des curés ! Une bref mention est faite aussi aux travaux des Humanistes dans l'essai !

    Le chapitre suivant est très intéressant et montre qu'une seconde révolution de l'écriture a eut lieu indépendamment de l'Eurasie, sur le continent amérindiens, dont les populations se sont séparées du reste de l'Humanité, il y  a 40.000 ans ! Si les Incas ignoraient l'objet-livre, les Mayas avaient développé leur propre alphabet, leur propre papier,... Tout ceci sera détruit par l'arrivée des Espagnols et de Cortés et Pizarro. Diego de Landa, un Franciscain rassemblera les livres mayas et se livrera à un gigantesque autodafé ! Mais paradoxalement, c'est grâce à lui qu'on a encore des traces de cette culture, notamment le système de glyphes mayas qu'il consigna dans ses propres écrits !

    Pour que leur culture survive, les Mayas la consignèrent eux-même dans un ouvrage,  le Popol Vuh, rédigé en quiché, qui expose les mythes de leur civilisation. Dans les années 1990, le sous-commandant Marcos menait son armée de rebelles en diffusant depuis la jungle mexicaine des textes tirés de ce Popol Vuh.

    La vie de Cervantès est elle-même un vrai roman ! Notre homme a combattu contre les Turcs à la Bataille navale de Lepante, puis fut fait prisonnier pendant cinq ans par des pirates et détenu à Alger. Mais on le connaît surtout comme le père du premier roman moderne européen avec son  Don Quichotte. Je ferais un article en temps et en heure sur cette oeuvre car en ai commencé la lecture sur mon mobile ! Mais déjà je peux rappeler que le personnage de Don Quichotte questionne le rapport à la littérature qui peut être dangereuse. A la manière d'Emma Bovary plus tard, le héros vit dans le monde de la fiction. Il a trop abusé de romans de chevalerie et le livre de Cervantès se veut comme un réquisitoire contre ce genre littéraire désuet !

    On peut mentionner à propos de Miguel de Cervantès son combat pour le droit d'auteur alors même que cette notion juridique n'existait pas ! Il eut a lutter contre les contrefaçons et les fausses suites de son célèbre roman et se livra aussi à une critique en règle des libraires, éditeurs et imprimeurs qui spolient l'auteur (comme Edilivre continue à le faire avec ses auteurs de nos jours par exemple !) !

    Martin Puchner développe encore davantage son propos sur le circuit du livre à travers la personne de Benjamin Franklin, montre comment il contrôlait et investissait dans les journaux et les placard, dans les imprimeries et dans les chemins de poste ! Il est bien entendu fait allusion à la Déclaration d'Indépendance Américaine ! On peut voir Franklin comme un génial artisan du copier-coller avant l'heure !

    Avec Goethe, dans le chapitre suivant, l'essayiste évoque la première mention d'une littérature mondiale - car Goethe était lecteur et collectionneur de romans chinois ! C'était aussi un grand voyageur !

    Certains grands textes ont changé la face du monde ! La Bible, le Coran mais aucun ne l'a changé aussi rapidement que le Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels, qui, si il eut un impact mineur sur les Révolutions de 1848 à travers l'Europe, fut redécouvert plus tard et influença les insurgés de la Commune de Paris en 1871 mais joua un rôle majeur dans le surgissement de la Révolution Russe de 1917 ! Parmi ses lecteurs, on compte donc Vladimir Oulianov Lénine, Mao Zedong, Ho Chi Minh et Fidel Castro ! Le marxisme propose en effet un "récit des origines" et s'adresse à tous les prolétaires !

    Et en parallèle, Marx et Engels ont lancé le genre littéraire du "Manifeste" qui ne tardera pas à fleurir peu après dans l'art - qui souhaite aussi se révolutionner - avec le naturalisme, le symbolisme puis le futurisme, le dadaïsme et le surréalisme.

    Mais on connaît les dérives de l'URSS et Martin Puchner revient ensuite sur deux écrivains soviétiques dissidents, ennemis du régime et de Staline : la poétesse Anna Akhmatova et l'ancien détenu du Goulag, Alexandre Soljenitsyne. Ce genre de littérature circulait sous le manteau, sous forme de samizdats ou encore sous forme mémorisée par ses lecteurs, ce qui n'est pas sans rappeler Fahrenheit 451 La vérité sur ce régime totalitaire finira par éclater - avec les Procès de 1956 et le couronnement de l'auteur de L'Archipel du Goulag par le Prix Nobel de Littérature en 1970 !

    Martoin Puchner n'oublie pas la littérature africaine et lui consacre le chapitre suivant, ce qui est pour lui l'occasion d'explorer les rapports entre tradition écrite et tradition orale, à travers les griots ! Il s'intéresse à L'Epopée de Soundiata, un récit oral parlant d'un roi et de sa descendance, d'une sorcière et de deux chasseurs, dans le cadre de la tradition et de l'Empire mandingue en Afrique occidentale ! On apprends comment un étranger, un certain David Conrad, écouta la narration qu'en fit Tassey Condé, un griot réputé en l'enregistrant sur cassette audio avant de le transcrire en anglais ! Il est aussi question des rapports entre les traditions coraniques des Arabes et des Berbères et des peuples noirs du sud du Sahara, qui finissent par se méler, s'influencer ! Lorsque cette région d'Afrique de l'Ouest était sous colonisation français, le colonisateur posa aussi par écrits ces contes et ces légendes tandis que des locaux s'efforcaient de créer leurs propres alphabets tel le n'ko qui est le nom d'une écriture créée par Solomana Kante en 1949 comme système de transcription des langues mandingues en Afrique occidentale.

    Ceci permets ensuite à l'auteur d'Ecrire le monde d'enchaîner sur la "littérature post-coloniale" où des écrivains indigènes ont la lourde responsabilité de fournir des récits fondateurs à de toutes jeunes nation et Martin Puchner s'est ainsi rendu dans les Caraïbes, à Sainte-Lucie pour rencontre un autre Prix Nobel de Littérature, en l'occurrence Derek Walcott et son roman-épopée couleur locale, Oresmos.

    On termine avec une évocation ludique du phénomène Harry Potter où la littérature se décline aussi en merchandising à l'ère de la consommation. Sont évoqués les possibilités du numériques, d'internet et des tablettes - la littérature se démocratise encore un peu plus ! On finit en Inde au Festival de Jaipur et l'auteur fait un rapide résumé de son livre où tous les chapitres se répondent en écho !

    Un livre fort intéressant, très instructif - même si par mes études, je connaissais déjà pas mal de choses relatées dans cet ouvrage ! - et l'ensemble se tient et la démonstration est bien menée !

    A bientôt !

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